« Un jardin est continuellement en proie à l’érotisme, au vice, à l’inquiétude, à l’angoisse (…) il vit sur ses nerfs. Un jardin est sans cesse fécondé, débauché, blessé, dévoré par des monstres considérables, portant cuirasse, ailes et griffes. » Jean Cocteau, La Difficulté d’être.
« Les espèces nous offrent aussi l’image d’une agressivité perpétuelle et d’une sexualité triomphante, avec des pistils offerts comme des vulves et des étamines turgescentes, dardées comme des pénis » Benoist-Méchin, L’homme et ses jardins.
Le monde végétal a inspiré le plus beau titre de la Recherche du Temps perdu, A l’ombre des jeunes filles en fleur, mais on sait par sa correspondance que Proust s’est intéressé à la botanique de manière plus scientifique et s’est documenté sur ce sujet, que par ailleurs il a lu Darwin qui venait d’être traduit en français. Ce choix permet au narrateur de nourrir ses sensations, et d’établir des parallèles non seulement entre les femmes et les fleurs (ce qui serait banal), mais aussi entre les mœurs florales et humaines.
Les similarités entre le comportement des plantes et des hommes vont traverser comme un motif musical les différents tomes de son œuvre monumentale : l’observation des fleurs engendre une réflexion poétique autant que moraliste sur la société, une méditation sur la nature et l’artifice, les apparences et la réalité.
Il choisit les orchidées, dont la pollinisation et la reproduction sont particulières, comme prisme de sa réflexion sur le monde. Ces fleurs jouent, dans l’économie du roman, un rôle de révélateur : elle vont littéralement changer le regard du narrateur. Ce n’est peut-être pas un hasard si Proust s’est fait peindre avec une orchidée à la boutonnière dans le portrait de Jacques-Emile Blanche.
Si l’on regarde la bibliographie touffue sur les orchidées, on y trouve des titres surprenants : Ménage à trois, La sexualité mouvementée des orchidées, La fécondation des orchidées une histoire de petites bêtes sont des ouvrages des plus sérieux ; Proust a décelé un thème particulièrement riche et… romanesque qui permettait des analogies fécondes. Certaines espèces d’orchidées utilisent en effet les services d’un bourdon qu’elles « séduisent » par des odeurs proches de celles de sa femelle et en se déguisant. Ces leurres permettent la reproduction grâce au pollen transporté par l’insecte.
Les orchidées sont présentes à trois moments différents de la Recherche. D’abord sous forme de catleyas, dans le premier volume, Un amour de Swann. Odette, la femme aimée, porte des catleyas qu’elle choisit pour « ses formes amusantes » et qui sont, « avec les chrysanthèmes, ses fleurs préférées, parce qu’ils avaient le grand mérite de ne pas ressembler à des fleurs, mais d’être en soie, en satin… »
La description de l’élégante Odette, future femme de Swann, offre déjà des connotations limpides : « Elle tenait à la main un bouquet de catleyas et Swann vit, sous sa fanchon de dentelle, qu’elle avait dans les cheveux des fleurs de cette même orchidée attachées à une aigrette en plumes de cygnes. Elle était habillée sous sa mantille, d’un flot de velours noir qui, par un rattrapé oblique, découvrait en un large triangle le bas d’une jupe de faille blanche et laissait voir un empiècement, également de faille blanche, à l’ouverture du corsage décolleté, où étaient enfoncées d’autres fleurs de catleyas. »
La fleur devient la métonymie de la femme, elle permet d’ « érotiser » le personnage d’Odette. Parallèlement, le narrateur introduit des éléments animaux pour contrebalancer l’éloge de son portrait et ce qu’il pourrait avoir d’hyperbolique : l’aigrette appartient à la famille des grues et Odette passe pour en être une aux yeux de la bonne société qui ne l’accueille pas. Ses plumes de cygne font contrepoids au fait qu’elle est, dans le monde, considérée comme une cocotte demi-mondaine.
L’analogie femme/fleur fonctionne par la forme, et surtout le raffinement, la sophistication, l’originalité, le luxe et la texture particulière qui brouillent la limite entre le naturel et l’artificiel.
«Celle-là a l’air d’être découpée dans la doublure de mon manteau», dit-elle à Swann en lui montrant une orchidée, avec une nuance d’estime pour cette fleur si «chic», pour cette sœur élégante et imprévue que la nature lui donnait, si loin d’elle dans l’échelle des êtres et pourtant raffinée, plus digne que bien des femmes qu’elle lui fit une place dans son salon. En lui montrant tour à tour des chimères à langues de feu décorant une potiche ou brodées sur un écran, les corolles d’un bouquet d’orchidées, un dromadaire d’argent niellé aux yeux incrustés de rubis qui voisinait sur la cheminée avec un crapaud de jade, elle affectait tour à tour d’avoir peur de la méchanceté, ou de rire de la cocasserie des monstres, de rougir de l’indécence des fleurs et d’éprouver un irrésistible désir d’aller embrasser le dromadaire et le crapaud qu’elle appelait: «chéris».
Odette porte des orchidées et c’est ce détail qui va permettre à Swann de la conquérir : à la faveur d’une secousse en fiacre, Swann va pouvoir se rapprocher d’elle un soir où il la raccompagne : le catleya qu’elle porte tombe et il le lui remet.
« Elle était à peine remise de la frayeur que Swann lui avait causée quand un obstacle fit faire un écart au cheval. Ils furent vivement déplacés, elle avait jeté un cri et restait toute palpitante, sans respiration.
—«Ce n’est rien, lui dit-il, n’ayez pas peur.»
Et il la tenait par l’épaule, l’appuyant contre lui pour la maintenir; puis il lui dit:
—Surtout, ne me parlez pas, ne me répondez que par signes pour ne pas vous essouffler encore davantage. Cela ne vous gêne pas que je remette droites les fleurs de votre corsage qui ont été déplacées par le choc. J’ai peur que vous ne les perdiez, je voudrais les enfoncer un peu.
Elle, qui n’avait pas été habituée à voir les hommes faire tant de façons avec elle, dit en souriant:
—«Non, pas du tout, ça ne me gêne pas.»
Mais lui, intimidé par sa réponse, peut-être aussi pour avoir l’air d’avoir été sincère quand il avait pris ce prétexte, ou même, commençant déjà à croire qu’il l’avait été, s’écria:
—«Oh! non, surtout, ne parlez pas, vous allez encore vous essouffler, vous pouvez bien me répondre par gestes, je vous comprendrai bien. Sincèrement je ne vous gêne pas? Voyez, il y a un peu… je pense que c’est du pollen qui s’est répandu sur vous, vous permettez que je l’essuie avec ma main? Je ne vais pas trop fort, je ne suis pas trop brutal? Je vous chatouille peut-être un peu? mais c’est que je ne voudrais pas toucher le velours de la robe pour ne pas le friper. Mais, voyez-vous, il était vraiment nécessaire de les fixer ils seraient tombés; et comme cela, en les enfonçant un peu moi-même… Sérieusement, je ne vous suis pas désagréable? Et en les respirant pour voir s’ils n’ont vraiment pas d’odeur non plus? Je n’en ai jamais senti, je peux? dites la vérité.»?
Souriant, elle haussa légèrement les épaules, comme pour dire «vous êtes fou, vous voyez bien que ça me plaît».
La fleur permet le rapprochement des corps, jusqu’à devenir par la suite un rituel secret entre les amants, une expression de leur idiome et de leur intimité, un synonyme de l’acte amoureux :
« Mais il était si timide avec elle, qu’ayant fini par la posséder ce soir-là, en commençant par arranger ses catleyas, soit crainte de la froisser, soit peur de paraître rétrospectivement avoir menti, soit manque d’audace pour formuler une exigence plus grande que celle-là (qu’il pouvait renouveler puisqu’elle n’avait pas fiché Odette la première fois), les jours suivants il usa du même prétexte. Si elle avait des catleyas à son corsage, il disait: «C’est malheureux, ce soir, les catleyas n’ont pas besoin d’être arrangés, ils n’ont pas été déplacés comme l’autre soir; il me semble pourtant que celui-ci n’est pas très droit. Je peux voir s’ils ne sentent pas plus que les autres?» Ou bien, si elle n’en avait pas: «Oh! pas de catleyas ce soir, pas moyen de me livrer à mes petits arrangements.» De sorte que, pendant quelque temps, ne fut pas changé l’ordre qu’il avait suivi le premier soir, en débutant par des attouchements de doigts et de lèvres sur la gorge d’Odette et que ce fut par eux encore que commençaient chaque fois ses caresses; et, bien plus tard quand l’arrangement (ou le simulacre d’arrangement) des catleyas, fut depuis longtemps tombé en désuétude, la métaphore «faire catleya», devenue un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de la possession physique—où d’ailleurs l’on ne possède rien,—survécut dans leur langage, où elle le commémorait, à cet usage oublié. Et peut-être cette manière particulière de dire «faire l’amour» ne signifiait-elle pas exactement la même chose que ses synonymes. On a beau être blasé sur les femmes, considérer la possession des plus différentes comme toujours la même et connue d’avance, elle devient au contraire un plaisir nouveau s’il s’agit de femmes assez difficiles—ou crues telles par nous—pour que nous soyons obligés de la faire naître de quelque épisode imprévu de nos relations avec elles, comme avait été la première fois pour Swann l’arrangement des catleyas. Il espérait en tremblant, ce soir-là (mais Odette, se disait-il, si elle était dupe de sa ruse, ne pouvait le deviner), que c’était la possession de cette femme qui allait sortir d’entre leurs larges pétales mauves; et le plaisir qu’il éprouvait déjà et qu’Odette ne tolérait peut-être, pensait-il, que parce qu’elle ne l’avait pas reconnu, lui semblait, à cause de cela—comme il put paraître au premier homme qui le goûta parmi les fleurs du paradis terrestre—un plaisir qui n’avait pas existé jusque-là, qu’il cherchait à créer, un plaisir—ainsi que le nom spécial qu’il lui donna en garda la trace—entièrement particulier et nouveau. »
L’orchidée, désormais chargée d’une connotation sexuelle, prémisse et promesse de bonheur, réapparaît dans Le côté de Guermantes, la troisième partie de La Recherche, lors d’une réception chez la duchesse de Guermantes, dont on découvre que, comme Odette, elle aime particulièrement les orchidées. Si l’orchidée était liée à l’amour, qu’elle en était le prétexte et le signifiait, le texte prend une dimension plus générale amenée par l’observation de sa fécondation.
«Quelle jolie fleur, je n’en avais jamais vu de pareille, il n’y a que vous, Oriane, pour avoir de telles merveilles!» dit la princesse de Parme (…)
—Je suis enchantée qu’elle vous plaise; elles sont ravissantes, regardez leur petit tour de cou de velours mauve; seulement, comme il peut arriver à des personnes très jolies et très bien habillées, elles ont un vilain nom et elles sentent mauvais. Malgré cela, je les aime beaucoup. Mais ce qui est un peu triste, c’est qu’elles vont mourir.
—Mais elles sont en pot, ce ne sont pas des fleurs coupées, dit la princesse.
—Non, répondit la duchesse en riant, mais ça revient au même, comme ce sont des dames. C’est une espèce de plantes où les dames et les messieurs ne se trouvent pas sur le même pied. Je suis comme les gens qui ont une chienne. Il me faudrait un mari pour mes fleurs. Sans cela je n’aurai pas de petits!
—Comme c’est curieux. Mais alors dans la nature…
—Oui! il y a certains insectes qui se chargent d’effectuer le mariage, comme pour les souverains, par procuration, sans que le fiancé et la fiancée se soient jamais vus. Aussi je vous jure que je recommande à mon domestique de mettre ma plante à la fenêtre le plus qu’il peut, tantôt du côté cour, tantôt du côté jardin, dans l’espoir que viendra l’insecte indispensable. Mais cela exigerait un tel hasard. Pensez, il faudrait qu’il ait justement été voir une personne de la même espèce et d’un autre sexe, et qu’il ait l’idée de venir mettre des cartes dans la maison. Il n’est pas venu jusqu’ici, je crois que ma plante est toujours digne d’être rosière, j’avoue qu’un peu plus de dévergondage me plairait mieux. Tenez, c’est comme ce bel arbre qui est dans la cour, il mourra sans enfants parce que c’est une espèce très rare dans nos pays. Lui, c’est le vent qui est chargé d’opérer l’union, mais le mur est un peu haut.
—En effet, dit M. de Bréauté, vous auriez dû le faire abattre de quelques centimètres seulement, cela aurait suffi. Ce sont des opérations qu’il faut savoir pratiquer. Le parfum de vanille qu’il y avait dans l’excellente glace que vous nous avez servie tout à l’heure, duchesse, vient d’une plante qui s’appelle le vanillier. Celle-là produit bien des fleurs à la fois masculines et féminines, mais une sorte de paroi dure, placée entre elles, empêche toute communication. (…)
—Je dirai à Votre Altesse que c’est Swann qui m’a toujours beaucoup parlé de botanique. Quelquefois, quand cela nous embêtait trop d’aller à un thé ou à une matinée, nous partions pour la campagne et il me montrait des mariages extraordinaires de fleurs, ce qui est beaucoup plus amusant que les mariages de gens, sans lunch et sans sacristie. On n’avait jamais le temps d’aller bien loin. Maintenant qu’il y a l’automobile, ce serait charmant. Malheureusement dans l’intervalle il a fait lui-même un mariage encore beaucoup plus étonnant et qui rend tout difficile. Ah! madame, la vie est une chose affreuse, on passe son temps à faire des choses qui vous ennuient, et quand, par hasard, on connaît quelqu’un avec qui on pourrait aller en voir d’intéressantes, il faut qu’il fasse le mariage de Swann. Placée entre le renoncement aux promenades botaniques et l’obligation de fréquenter une personne déshonorante, j’ai choisi la première de ces deux calamités. D’ailleurs, au fond, il n’y aurait pas besoin d’aller si loin. Il paraît que, rien que dans mon petit bout de jardin, il se passe en plein jour plus de choses inconvenantes que la nuit… dans le bois de Boulogne! Seulement cela ne se remarque pas parce qu’entre fleurs cela se fait très simplement, on voit une petite pluie orangée, ou bien une mouche très poussiéreuse qui vient essuyer ses pieds ou prendre une douche avant d’entrer dans une fleur. Et tout est consommé!
—La commode sur laquelle la plante est posée est splendide aussi, c’est Empire, je crois, dit la princesse qui, n’étant pas familière avec les travaux de Darwin et de ses successeurs, comprenait mal la signification des plaisanteries de la duchesse. »
Avec Odette, la femme était fleur. Dans le salon d’Oriane de Guermantes, la fleur devient femme. L’union des fleurs renvoie aux mariages grâce à des glissements sémantiques et des ambiguités qui permettent de superposer commerce amoureux et reproduction naturelle, par exemple avec le mot « rosière ».
Proust s’est inspiré d’un livre de Maeterlinck, L’intelligence des fleurs (1907) où il a pu lire la description du « loroglosse à odeur de bouc ». Il s’est également documenté pour ce passage sur la fécondation du vanillier, autre orchidée.
Ce qui est intéressant ici (Proust prépare le terrain où il veut mener son lecteur), plus que le parallèle entre le monde végétal et humain, c’est la réaction de la princesse de Parme qui s’étonne que les orchidées ne se reproduisent pas facilement (« mais alors dans la nature ? »…). La nature ne fait pas bien les choses justement, ce qui est le plus « naturel » n’arrive pas pour l’orchidée, à la fois mâle et femelle, qui a besoin d’un insecte ou de la main de l’homme, qui est donc soumise aux aléas du hasard.
Quelques centaines de pages après la soirée chez les Guermantes, dans le quatrième volume de la Recherche, Sodome et Gomorrhe (1921), on retrouve la même orchidée, qu’on a sortie, dans l’espoir qu’elle sera fécondée, dans la cour de l’hôtel particulier qu’habite Oriane de Guermantes et où vit aussi le narrateur. Le jeune Marcel est sorti de chez lui pour observer, posté derrière un store, la plante dans la cour. Cette contemplation ouvre le roman sur une scène qui, d’observation scientifique, devient une révélation sur la véritable nature du baron de Charlus. Avec ce chapitre apparaissent les amours clandestines, le monde de Sodome et celui de Gomorrhe.
« A défaut de la contemplation du géologue, j’avais du moins celle du botaniste et regardais par les volets de l’escalier le petit arbuste de la duchesse et la plante précieuse exposés dans la cour avec cette insistance qu’on met à faire sortir les jeunes gens à marier, et je me demandais si l’insecte improbable viendrait, par un hasard providentiel, visiter le pistil offert et délaissé. » (…)
« Je savais que cette attente n’était pas plus passive que chez la fleur mâle, dont les étamines s’étaient spontanément tournées pour que l’insecte pût plus facilement la recevoir ; de même la fleur femme qui était ici, si l’insecte venait, arquerait coquettement ses « styles » et pour mieux être pénétrée par lui ferait imperceptiblement, comme une jouvencelle hypocrite mais ardente, la moitié du chemin. Les lois du monde végétal sont gouvernées elles-mêmes par des lois de plus en plus hautes. Si la visite d’un insecte, c’est-à-dire l’apport de la semence d’une autre fleur, est habituellement nécessaire pour féconder une fleur, c’est que l’autofécondation, la fécondation de la fleur par elle-même, comme les mariages répétés dans une même famille, amènerait la dégénérescence et la stérilité, tandis que le croisement opéré par les insectes donne aux générations suivantes de la même espèce une vigueur inconnue de leurs aînées. »
Cette scène est un moment charnière dans la construction de la Recherche. Le point de vue est radicalement et définitivement retourné : le narrateur n’assiste pas à la fécondation attendue de la fleur, mais voit ou entend (d’une pièce voisine à l’atelier de Jupien) une autre scène dont il nous livre des bribes. Il s’agit là d’un dévoilement qui produit la sensation d’avoir acquis « un sens de plus ». Ce chapitre est coquille d’une révélation/révolution : on ne verra plus les autres de la même façon :
« M. de Charlus m’avait distrait de regarder si le bourdon apportait à l’orchidée le pollen qu’elle attendait depuis si longtemps, qu’elle n’avait chance de recevoir que grâce à un hasard si improbable qu’on le pouvait appeler une espèce de miracle. Mais c’était un miracle aussi auquel je venais d’assister, presque du même genre, et non moins merveilleux. »
« Je trouvais la mimique, d’abord incompréhensible pour moi, de Jupien et de M. de Charlus aussi curieuse que ces gestes tentateurs adressés aux insectes, selon Darwin, non seulement par les fleurs dites composées, haussant les demi-fleurons de leurs capitules pour être vues de plus loin, comme certaine hétérostylée qui retourne ses étamines et les courbe pour frayer le chemin aux insectes, ou qui leur offre une ablution, et tout simplement même aux parfums de nectar, à l’éclat des corolles qui attiraient en ce moment des insectes dans la cour. »
L’analogie femme/fleur est devenue homme/orchidée : l’étymologie de cette fleur renvoie d’ailleurs au mot grec orkhis, qui signifie « testicule » (par analogie avec la forme des bulbes). La vision du narrateur « herborisateur humain », « botaniste moral » induit une ré-vision : « J’avais déjà tiré de la ruse apparente des fleurs une conséquence sur toute une partie de l’œuvre littéraire. » Les yeux dessillés, le lecteur est lui aussi conduit d’une version vers l’inversion.
La médiation de la métaphore de la nature qui hante tout le roman (les héros, le narrateur, l’auteur) permet ainsi de révéler la nature secrète des choses et des êtres. Les artifices de l’orchidée, à la recherche du bourdon perdu, construisent une autre image du monde, elle-même contenue dans la vision proustienne d’un microcosme mondain et universel.