Le fil invisible qui relie les endroits les plus fashion de Marrakech, c’est la patte d’Antoine Van Doorne, reconnaissable d’emblée malgré une palette d’inspirations toujours renouvelées et très éclectiques. Que ce soit au Sunset, piscine lounge de la palmeraie, au kosy bar, sur la pittoresque place des ferblantiers dans le quartier juif du Mellah, au bo zin, phare des soirées de la jet set dont il est l’un des concepteurs ou dans les deux riad « lotus », son style s’impose comme une évidence, le charme de sa créativité opère.
Ce Versaillais –point commun qu’il a avec une génération de musiciens de la french touch- installé au Maroc depuis quatre ans, a choisi Marrakech qui l’inspire et qu’il inspire, et où son hédonisme trouve un terrain d’expression propice. Après des études de publicité à Montréal, il a vécu à New York, où il a été choisi par Ralph Lauren pour incarner le luxe et l’élégance sportive. Entre deux voyages qui nourrissent de nouvelles mises en scène, ce globe trotteur qui veut être chez lui partout dans le monde, redevient gentleman farmer dans sa propriété de la palmeraie, ouverte, noblesse oblige, à des happy few de passage, aux amoureux des chevaux et à ses nombreux amis, théâtre de soirées mémorables et de parties éclatantes.
Dans son intimité, dans ses décors confidentiels (il conçoit en ce moment deux maisons contemporaines à Agadir et à Casablanca), ou dans les lieux plus ouverts qu’il investit se mêlent son panache et son audace, osant les entorses à toutes les idées reçues de la décoration, mariant les matières, les lignes et les styles : c’est ainsi que la Marilyn de Warhol fait des clins d’œil à des vases chinois posés sur des zelliges, que les photos d’Helmut Newton se mirent dans des peaux de bêtes. Tout apparaît à rebours, comme dans le roman de Barbey d’Aurevilly le héros esthète, et c’est par là que se révèle le vrai créateur de tendances, dégageant une invisible et incroyable énergie positive.
« Tout est pensé en fonction d’une histoire », dit-il de ses différentes créations ; il y est extraordinairement présent, dans toutes ses facettes, et la richesse de ses idées et de ses sources produit un résultat fastueux : Antoine Van Doorne, c’est une image de l’Orient heureux, son style est à la création contemporaine ce que Vivant Denon est à la prose française, un subtil équilibre entre les entrelacs et les arabesques et la rigueur d’un néo-classicisme, toujours vibrant de légèreté.
Le riad lotus 1 AMBRE, près de la place Jemaa el Fna, l’a couronné de succès : dans cette maison traditionnelle aménagée luxueusement pour accueillir une dizaine d’hôtes, il a privilégié l’influence moyen et extrême orientale et y a incorporé du contemporain cosy dans un style très personnalisé. De ce projet est né le riad lotus 2 PERLE, inauguré en mai dernier et sans doute à ce jour la demeure la plus originale de la médina. Le contraste entre l’extérieur et l’intérieur y est surprenant – ou peut-être faudrait-il parler de paradoxe, figure chère à son auteur, qui pour autant ne perd jamais son exigence de cohérence- : le patio aux lignes pures, miroir biseauté de 7 mètres de haut, colonnes hollywoodiennes met en scène la rigueur du noir et blanc, et tranche avec les chambres conçues comme des boudoirs. Cuir d’autruche sur les murs, velours incarnat, soies pourpres et flanelles gorge de pigeon, moires précieuses et salles de bain en marbre noir veiné qui sont une invite au bain de champagne (c’est d’ailleurs le parfum, réédité par Caron cette année, que préfère Antoine Van Doorne), autant de clins d’œil coquins qui ne tombent jamais dans la provocation. Comme, par exemple, ses abat-jour dont l’habillage est inspiré d’un porte-jarretelles.
Les créations d’Antoine Van Doorne, c’est Visconti à dîner chez Karen Blixen, c’est un décor d’Eyes wide shut.
Aujourd’hui, il prépare le riad lotus 3 EAU MARINE, en même temps qu’un restaurant à Essaouira. La prochaine création que l’on pourra découvrir dans la ville ocre est un bar restaurant, l’Arôm, qui ouvrira en décembre à l’hivernage. Entre temps, le pétillant Antoine travaille à Paris et développe des projets à l’étranger. Ce touche à tout de génie nous fait évoluer entre un film acidulé en technicolor et le classicisme épuré de La vie est belle de Capra. C’est la leçon et l’impression qui se dégagent en tout cas de ses lieux, à découvrir d’urgence.