Un jardin plein de pensée

Véronique Bruez - 2 juin 2012

Un jardin plein de pensée​

Une des origines du nom de Rhodes est peut-être le nom de la rose, rodon. Ce mot est cousin de l’arabe warda qui est aussi le générique qui désigne toute fleur. Des roses blanches, trémières, mousseuses, de Damas, d’églantiers, cuisse de nymphe émue (Rhodes était aussi une nymphe), Félicité et Perpétue, le jardin de la fondation Marc de Montalembert trouve sa respiration si originale et sereine. Ce jardin succède à un terrain vague, naguère, auquel s’est attaqué à bras le corps Manuela de Montalembert. Il semble aujourd’hui avoir toujours existé, à l’ombre des remparts médiévaux qui nous racontent tant d’histoires. Ici ce n’est pas un dialogue de bêtes mais un dialogue avec les fleurs, les essences, la terre que n’a pas cessé d’avoir la maîtresse des lieux depuis dix ans. Tout, ainsi, trouve naturellement sa place, les acanthes, les grenadiers à l’ombre propice, les myrtes protecteurs, les buissons de buis du labyrinthe, la glycine qui se dispute avec le jasmin d’Espagne et la vigne, les oléandres immaculés, ou le tendre figuier de la terrasse. Même le câprier, de l’enceinte des chevaliers, ébouriffé, semble vouloir se jeter, d’envie, dans le vide, pour faire partie de ce paradis. Et le cognassier dans tout cela, avec son air bouffon, nous amuse. Manuela, laissez-le, même avec son ridicule, faire contraste à la majesté de ses voisins ! Les papillons blancs ne s’y trompent pas, et viennent confirmer la perfection chromatique de ce lieu. Les hirondelles – on prend garde à ne pas les réveiller la nuit – placent quant à elles la maison sous leurs heureux auspices. Dans un esprit de syncrétisme linguistique et botanique, un système d’irrigation inspiré des khettaia arabo-andalouses, apporte une touche contemporaine au paysage. Tout est pensé ; et c’est reposant, l’oeuvre de l’intelligence. La technè, disaient les Grecs. Et partout aussi se cache l’émotion, la sensibilité d’une femme qui a voulu redonner le meilleur de la création humaine, aidée de cette végétation si luxuriante, généreuse comme elle, de l’île. C’est un lieu de pensées pour l’absent. Mais c’est aussi un lieu d’extraordinaire présence, et d’un temps autre, doux, et presque flou… Dans sa simplicité sacrée, le jardin de la fondation s’étend dans l’aura de la petite chapelle de saint Marc. A différents titres, il est un jardin spirituel. Qui nous ramène aux choses essentielles, dans la pureté de ses fleurs et de ses sentiments. Le jardin de la félicité perpétuée…